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Françoise Chamagne cultive les paradoxes comme des orchidées rares et elle a la main verte. Elle est à la fois raffinée et organique, esthétisante et instinctive. Elle travaille la terre, les graines les racines et les écorces, préserve le naturel et la force vitale, mais gomme la sauvagerie et l’aléatoire. Se permet tout, si c’est sous-tendu par l’équilibre des volumes et l’élégance de la palette: bleu luminescent, rouge brique, camaïeu d’ocrés.
Uniquement des couleurs naturelles travaillées à la manière des peintres du Quattrocento pour réveiller le feutre gris, qu’elle agrémente parfois de feuilles d’or et façonne en formes variées: plissés, vagues, cônes improbables comme des chapeaux d’elfes, bâtons de cérémonie, cosses ouvertes laissant entrevoir la vie qui germe, objets-totems agrémentés de flèches de fils, de petites boules, d’entortillements, comme ce kapok mêlé de curare que les indiens d’Amazonie roulent au bout de leurs flèches.
Après avoir beaucoup utilisé la pâte à papier et d’autres substances dociles, elle a trouvé enfin « son » matériau d’élection : le feutre, matière nomade qu’on peut rouler comme la peau d’une yourte mongole pour partir toujours plus loin. (…)
C’est là, sous l’ immensité de la voûte étoilée du Tassili du Hoggar ou sur la caillasse brûlante de l’Afrique sahélienne qu’elle se ressource, se nourrit de rituel et de magie, comme de ces pétroglyphes millénaires représentant des chasseurs filiformes, qu’elle découvrit un jour sur deux rochers noirs du Mali et qu’elle a incorporés à certains tableaux (…) Puisant dans les cultures ancestrales, elle réinvente une archéologie du signe, des runes qui rythment ses œuvres ainsi que des notes sur une portée. Des phrases délavées traversent ses toiles comme une écume d’écriture à la crête des vagues, qui dirait des voyages encore en partance. Mais avant, il faut couper les liens avec là terre, la pierre, cette maison lumineuse de Laxou dans le jardin duquel pousse le noisetier tortueux, son arbre préfèré.Ces attaches, qui sont des entraves au départ, elle les a inscrites dans une série de tableaux de 20 cm sur 20 représentant des noeuds, des cordages. des voiles…
Dans des reliquaires du même format , elle accumule aussi des objets emblématiques, comme ces anches de saxophone qui rappellent qu’à ses moments perdus (gagnés? ), elle se met en phase avec le grand souffle du monde et s’époumone avec la joie gamine du lapin Gringoire soufflant dans sa trompette.

Gérard CHARUT. 2001

(…) Françoise Chamagne a recréé un environnement très subtilement coloré, une population végétale dont le feutre de lin est le seul constituant : pour le plaisir tactile de l’œil et du corps tout entier, elle en orchestre les éléments, en alterne savamment les épaisseurs et les épidermes, souples et tendres ou râpeux comme langue de chat, les superpose en strates ou en doux vallonnements, les compose et recompose en nervures, folioles, écailles, rémiges, évoquant une vie « feutrée » sous-jacente, palpitante et chaude.

Henri CLAUDE . 2001

Parcours spatio-temporel

Le feutre de lin est le support avec lequel Françoise Chamagne réalise l’essentiel de sa production. La souplesse et la fermeté de cette matière lui permettent de sculpter le textile. Elle chemine dans deux directions.
La première prend pour thème le végétal. Elles inventent des plantes qui forment une jungle fantasque et chatoyante où la sensualité remplace la luxuriance, où l’épine s’arrondit et l’aiguillon se déguise. Il y a du festif et du carnavalesque dans ces surgeons insolites qui se métamorphosent quelquefois en totem d’apparence minérale, enracinés en ce pays de toutes les saisons y compris celles de l’imaginaire.
Le second axe exploré par Chamagne semble s’apparenter -écho phonétique à son patronyme- à des pratiques de chaman. Elle aligne en effet des reliquaires suspendus qui contiennent des objets conservés en fonction de leur symbolique, de la portée mémorable qui les nimbe. On retrouve là un univers dont le lointain cousinage avec celui de Jephan de Villiers tient précisément au mystère et à l’utilisation d’objets en liaison avec la nature.
Des signes graphiques tenant à la fois de l’écriture indécryptable et d’une magie initiatique ponctuent la surface de bien des œuvres. Certaines puisent inspiration dans les motifs de « n’tschak » des Kuba du Kasaï, tissés et brodés par les femmes enceintes et qui serviront ultérieurement de linceul. Cette influence résume bien la démarche de l’artiste en quête d’une réflexion à propos du passage de la vie à la mort, du temps de l’humanité, des jalons fichés au cœur de l’histoire par les civilisations successives.

Michel Voiturier. 2004

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